Depuis ses origines, la bioéthique accorde une attention particulière au don d’organes et de tissus à des fins de transplantation, compte tenu de son lien étroit avec la santé humaine et de la multiplicité des conflits d’intérêts pouvant concerner les différents acteurs impliqués. Ces conflits comprennent les abus, la discrimination, la recherche impliquant des êtres humains, la communication avec la famille du donneur, le consentement éclairé et l’autonomie du donneur vivant, l’obtention des organes, la notion de mort cérébrale, les critères de sélection des receveurs, l’équité dans la distribution des organes, le rapport coût-bénéfice, l’allocation équitable des ressources publiques et les problèmes liés au commerce des organes et au marché des organes[1] . Compte tenu de la complexité inhérente au don d’organes à des fins de transplantation, on peut s’attendre à un large éventail de controverses, de questions et de tensions éthiques.
Toutefois, la réduction des controverses et des risques associés au don d’organes nécessite une compréhension et une application plus approfondies des principes bioéthiques. Ces principes peuvent contribuer de manière significative à promouvoir une plus grande sensibilisation au don d’organes comme moyen de sauver des vies et de faire progresser la science médicale, en construisant une vision renouvelée qui respecte la dignité humaine. L’objectif de cette réflexion est d’analyser la contribution des quatre principes classiques de la bioéthique dans le domaine du don d’organes : justice, non-malfaisance, autonomie et bienfaisance[2] . Ces principes, bien qu’ils puissent être en conflit dans certaines situations, sont indispensables à toute étude liée à la santé humaine et fondamentaux pour surmonter les différents défis inhérents au don d’organes et de tissus à des fins de transplantation.
Le don d’organes à des fins de transplantation, comme nous l’avons déjà mentionné, est une activité très complexe. Cette complexité nécessite l’application non seulement des normes juridiques en vigueur, mais aussi des principes éthiques universels, afin de prévenir les abus et toute forme d’injustice pouvant survenir au cours du processus. Dans ce contexte, le principe de justice, entendu comme l’acte de « donner à chacun selon son droit ou l’équité dans la répartition des risques et des avantages », peut jouer un rôle fondamental. Son application correcte dans le don d’organes manifeste notre responsabilité morale et légale envers les autres. En effet, le respect de ce principe empêche toute manifestation de discrimination et garantit l’égalité des chances entre les individus, en assurant que tous aient les mêmes possibilités d’être donneurs ou receveurs d’organes. Par conséquent, le principe de justice, de par sa nature intrinsèque, exige l’existence de protocoles sans équivoque, c’est-à-dire de règles claires qui définissent les circonstances dans lesquelles une personne peut ou ne peut pas être donneur. Le principe de justice vise à préserver la qualité du don et la santé du donneur et du receveur, ainsi qu’à protéger tous les éléments impliqués dans l’activité de don. Il est indéniable que des préoccupations légitimes persistent quant aux critères utilisés pour l’accès et la répartition des organes . C’est pourquoi ces critères doivent être de nature médicale et objective, constamment orientés vers le bien-être du receveur, mais également susceptibles d’être révisés. L’ensemble du processus s’inscrit dans la dynamique de l’administration de la justice.
Le principe de justice vise à réduire au minimum les conflits d’intérêts qui peuvent surgir entre les différents acteurs impliqués dans le don d’organes. Dans le même temps, il exige la plus haute qualité technique et humaine à chaque étape du processus. De ce point de vue, le principe de justice repose sur l’inviolabilité de l’individu. En effet, si la population perçoit que la justice et la transparence sont appliquées dans le domaine du don d’organes, elle est susceptible de soutenir cette pratique de manière significative. Par conséquent, le défi pour augmenter le nombre de donneurs réside dans l’application rigoureuse du principe de justice et dans la garantie de la transparence tout au long du processus de don.
Un autre principe bioéthique fondamental dans le domaine du don d’organes et de tissus à des fins de transplantation est le principe de non-malfaisance. Ce principe, intrinsèquement lié au principe de justice et à d’autres principes, vise essentiellement à éviter tout préjudice. Dans tout processus de don, la non-malfaisance doit être garantie, en recherchant à tout moment l’absence de souffrance et le confort du patient. Si, dans certaines circonstances, l’omission d’un bien peut être admissible, causer un préjudice n’est jamais acceptable. Comme déjà mentionné, l’activité de don d’organes implique plusieurs acteurs et comporte donc différents risques. Il est donc extrêmement important de garantir le bien-être et le respect des droits fondamentaux de toutes les personnes concernées. Le principe de non-malfaisance, tout comme le principe de justice, exige des protocoles clairement définis. Par exemple, lors du diagnostic de la mort cérébrale, il est essentiel d’expliquer clairement et précisément le processus diagnostique nécessaire. Malheureusement, dans le cas du don d’organes provenant d’un cadavre, la volonté du donneur n’est pas toujours respectée. Dans ces cas, le principe de non-malfaisance s’appliquerait pour garantir que le don soit effectué conformément aux volontés exprimées par le donneur. Un dialogue précoce, sincère et respectueux avec les proches du donneur est certes nécessaire, mais l’application de ce principe vise à garantir le plus grand respect pour le patient et ses proches tout au long du processus, ainsi que pour le corps du patient après son décès. Dans le cas d’un donneur vivant, l’objectif est de garantir que le don résulte d’une décision libre et éclairée, informée des risques inhérents à l’acte de don et libre de toute pression économique ou sociale.
Le caractère volontaire qui caractérise le don d’organes par un donneur vivant souligne le principe d’autonomie. Dans l’acte de don, la capacité du donneur vivant à agir en toute connaissance de cause et sans restriction doit être invariablement privilégiée. Dans ce contexte, le principe d’autonomie garantit le respect du droit de l’individu d’être ou non donneur, ainsi que d’accepter ou de refuser un don après avoir été pleinement informé de ses risques et avantages. En tant que sujet moral autonome, l’individu a la capacité de délibérer sur ses fins personnelles et d’agir conformément à cette délibération[3] . Toutefois, il est essentiel de noter que le principe d’autonomie n’autorise personne à causer du tort à autrui. Par conséquent, lorsque tous les efforts sont déployés pour garantir que les organes sont prélevés dans les meilleures conditions possibles, le principe d’autonomie est renforcé. Dans ce contexte, autoriser le don d’organes devient toujours une action qui profite à la fois au patient et à la société. Plus le bénéfice pour les patients et la société résultant de l’acte de don est grand, plus la confiance du public dans le processus de don est grande. Le principe d’autonomie joue également un rôle important dans la garantie de la dignité et du respect du corps, en préservant les valeurs personnelles, culturelles et religieuses que la personne avait de son vivant.
Le principe d’autonomie exige également l’existence d’une volonté préalable du patient en état de mort cérébrale pour que le don soit accepté ; toutefois, il a été proposé que le corps du défunt (cadavre) puisse être légalement considéré comme une res communitatis, c’est-à-dire comme un bien appartenant à la communauté, disponible pour le bien commun, à condition qu’il y ait un besoin social et qu’aucune volonté contraire n’ait été exprimée par le donneur de son vivant[4] . Cependant, une question se pose : est-il éthiquement justifiable de considérer le corps d’une personne décédée comme un bien disponible pour le bien commun ? Et si oui, quel rôle devraient jouer les proches ? En effet, admettre que le corps d’une personne décédée devienne automatiquement un bien commun ne signifie pas nier le respect intrinsèque dû à la dépouille. La situation est complexe et il est essentiel d’impliquer toujours la famille dans le processus décisionnel.
Un autre principe bioéthique fondamental à prendre en compte dans le cadre du don d’organes est le principe de bienfaisance. Cette activité doit toujours bénéficier non seulement aux patients receveurs, mais aussi à la société dans son ensemble. Le don doit toujours viser le bien-être du patient sans causer de préjudice au donneur. Dans cette perspective, le don est considéré comme un acte de générosité profonde, car il implique le don d’une partie intrinsèque de la personne, ce qui ennoblit tant le donneur que le receveur. Considérant que le devoir premier de la médecine est primum non nocere (d’abord ne pas nuire), le don d’organes n’est justifié que dans la mesure où les risques pour le donneur sont minimes et les avantages pour le receveur raisonnables. Par conséquent, les obligations éthiques minimales du médecin comprennent une évaluation adéquate du rapport risques/avantages et la garantie que le donneur agit en toute liberté.
Enfin, on peut affirmer que les principes bioéthiques fondamentaux, s’ils sont bien compris et mis en œuvre dans le cadre du don, peuvent contribuer de manière significative à renforcer la confiance du public dans le don d’organes et à améliorer les taux de don, en particulier après le décès, dans le but de sauver des vies. Si l’on veut réduire l’écart entre l’offre et la demande d’organes, il est indispensable de mettre en place « un système organisé et professionnalisé auquel les patients peuvent faire confiance. Les donneurs doivent se sentir à l’aise en sachant que leurs volontés exprimées seront respectées après leur mort[5] ». La voie à suivre est celle de l’instauration de la confiance.
P. Jean Rolex, CM
[1] Cooley, D.A., Fung, J.J., Young, J.B., Starzl, TE., Siegler, M. & Chen, PW. (2008). Innovation en matière de transplantation et défis éthiques : qu’avons-nous appris ? Cleaveland Clinic J Med, 75 (6), 524-532.
[2] Gracia Guillen, D. M. (2004). Como arqueros al blanco. Études de bioéthique. Madrid : Triacastela.
[3] Ibidem,
[4] Pérez Hernández, I. (2016). Aspects éthiques du don d’organes, au-delà de la simple générosité. Gastroenterol. Latinoam, 27 (1), 76-78.
[5] The Lancet. (2016). Le don d’organes dépend de la confiance. 387 (10038), 2575.